Un seul exemplaire de ce géant parmi les papillons coûte jusqu’à 10 000 francs sur le marché noir. Le commerce de spécimens sauvages de ces animaux extrêmement rares et recherchés est interdit au niveau international par la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Ce magnifique papillon diurne n’est présent qu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée, un lointain État insulaire volcanique situé entre l’Indonésie et l’Australie. La Nouvelle-Guinée, deuxième plus grande île du monde, est une terre de tous les extrêmes, traversée par un massif montagneux escarpé dont les sommets dépassent les 4500 mètres d’altitude. En plus de compter de nombreuses espèces rares et indigènes, elle est considérée comme un haut lieu de la diversité linguistique humaine car 11 à 25% des langues du monde y sont parlées. Le papillon de la Reine Alexandra, qui vit dans la canopée de la forêt vierge entre 500 et 800 mètres d’altitude, est aussi extrême que son environnement. En 1906, Albert Stewart Meek, aventurier, naturaliste et collectionneur britannique, a découvert par hasard lors d’une expédition en Papouasie-Nouvelle-Guinée ce gigantesque papillon diurne dont l’impressionnante envergure peut atteindre 30 centimètres. Deux exemplaires recueillis par Albert Stewart Meek au cours d’une expédition ultérieure en 1907 se trouvent aujourd’hui dans la collection du musée.
Abattu avec un arc et des flèches
Les femelles de cette espèce se reproduisent uniquement avec les mâles qui viennent de rendre visite aux fleurs du kwila, un arbre désormais menacé car convoité pour son bois de qualité. Les femelles pondent leurs œufs sur une plante grimpante rare, présente de manière sporadique en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et qui pousse dans la canopée tropicale jusqu’à 40 mètres au-dessus du sol: Aristolochia schlechteri, une aristoloche qui constitue l’unique plante fourragère des chenilles. La population de cette plante ne cesse elle aussi de diminuer en raison de la destruction de son habitat, notamment à cause de l’expansion des plantations de palmiers à huile.
Après avoir surmonté toutes les difficultés posées par le terrain impraticable, Albert Stewart Meek a dû relever un dernier défi, c’est-à-dire la capture du papillon de la Reine Alexandra. Comme il n’était pas envisageable d’utiliser un filet à papillons à la hauteur où vivent les insectes, il a fallu les abattre au moyen d’un arc et de flèches depuis les branches toutes proches. C’est pourquoi les ailes de tous les spécimens abattus comportent un trou causé par la pointe de la flèche en forme de trident.
Nommé d’après une reine
L’expédition coûteuse d’Albert Stewart Meek au bout du monde a été financée par Walter Rothschild, un banquier excentrique, lui-même naturaliste et passionné d’animaux, qui élevait des kangourous dans son jardin en Angleterre et faisait tirer son carrosse par des zèbres. Il a construit dans la ville anglaise de Tring le Walter Rothschild Zoological Museum, qui appartient aujourd’hui au Musée d’histoire naturelle de Londres. La collection de Walter Rothschild comptait parmi les plus grandes au monde dans le domaine de l’histoire naturelle. Il a financé des expéditions dans le monde entier et y a également pris part personnellement. Il a collecté de nombreuses espèces d’oiseaux et de papillons jusqu’alors inconnues et en a fait la description dans des traités scientifiques. Walter Rothschild a choisi le nom de la reine consort Alexandra, épouse du roi Édouard VII d’Angleterre, pour baptiser un spécimen femelle ramené par Albert Stewart Meek de son expédition de 1906. Le papillon de la Reine Alexandra s’est rapidement avéré être l’un des plus grands papillons du monde.
Suggestion de lecture: John Tennent, The Man Who Shot Butterflies: Albert Stewart (1871-1943) - Naturalist and Explorer (Storm Entomological Publications, Oxford, 2021).
Publication: août 2023